Le mausolée d'Arnaud

Préambule : >>> Connaissance du bien et du mal (2)

Je ne suis pas restée longtemps à discuter avec Alain Bayod à Hauteville parce que dans son regard, j'ai vu quelque chose d'à la fois terriblement beau et émouvant et en même temps complètement terrifiant qui m'a fait reculer. J'ai été touchée et choquée par sa souffrance d'abord mais il y avait aussi autre chose, difficilement définissable, quelque chose comme l'inévitabilité de l'abîme. C'est comme si j'étais brusquement en face de...
la beauté de la mort. 

Non, non, je n'ai pas trop fumé. :-)

La souffrance acceptée est belle. On le voit, sur scène, quand l'acteur joue très bien le désespoir ou la douleur, c'est beau à voir. Et la mort, bien que terrifiante, est terriblement belle. C'est une expérience aussi importante que la naissance que la société moderne a niée et bannie mais qui mérite qu'on la célèbre comme dans les sociétés traditionnelles. 
 
Je ne sais pas de quoi souffre Alain, ça se trouve il peut guérir ou vivre avec sa maladie comme on vit avec le diabète, ça se trouve, il en mourra à plus ou moins long terme. Je ne sais pas. Mais on dirait qu'il a beaucoup médité sur la mort. Je crois qu'il souffre de la diminution de ses capacités physiques, il a quand même été une sorte de spécialiste du corps sur la voie d'Hauteville. Et il doit avoir le vertige devant l'inévitabilité de la mort. C'est ce vertige qui m'a à la fois attirée parce que c'est très beau et repoussée parce que cela fait très peur. 

Si on se met à méditer sur la mort, il faut savoir qu'il y a des sujets autour de la mort qui ne font la plupart du temps pas peur mais qui peuvent aussi brusquement faire paniquer et paniquer vraiment parce que ce dont on a peur est ab-so-lu-ment inévitable.
 
"Observez la scène comme un scientifique et voyez ce que pouvez faire." est la seule issue. 

S'il devait y avoir une seule phrase que je dois retenir d'Arnaud Desjardins, c'est celle-là, 
parce qu'elle est applicable tout le temps dans le courant de l'existence même si on y pense pas dans les situations qui ne provoquent pas de peur intense
et parce qu'elle m'a littérallement sauvée la vie une fois en m'évitant la panique. 

C'est ce conseil que j'appliquerai quand mon heure viendra de mourir. 
J'imagine que c'est ce qu'Arnaud a dû faire quand son aorte s'est déchiré. Il parait qu'il a dit : "Maintenant ce n'est pas le moment de penser mais de voir.". Cela veut dire la même chose mais dans la 1ère phrase, il a donné en plus le chemin pour y arriver : pour voir, il faut être intensément curieux et intéressé comme un scientifique examinant des échantillons au microscope. Ce qui est impossible à faire si on les rejette sur l'ordre d'une pensée ou d'une émotion.

J'ai repensé à son mausolée.
Arnaud ne parlait jamais pour rien. Je crois qu'il avait envie qu'on fasse ce mausolée déjà parce qu'il aimait bien les chantiers à Hauteville et aussi parce que cela nous donnera l'occasion de méditer sur la mort, ce qui selon les enseignants spirituels les plus sérieux comme Eckhart Tolle et Mathieu Ricard, permet l'ultime désidentification à la forme.
Je ne sais pas s'il avait le désir d'avoir un mausolée. Il a passé une bonne partie de sa vie à nous encourager à réaliser les désirs que nous pouvons réaliser et avec l'Orangerie, il a tenu compte de nos désirs artistiques. Cela ne me choquera pas que les Amis décident à un moment de lui rendre la pareille.
Sinon on continuera à être injuste avec lui en ne faisant rien pour lui faire plaisir parce que :
de son vivant, c'était un sage (qui n'a donc plus de désir)
et aujourd'hui, il n'est plus là pour goûter au plaisir.

Et puis, j'avoue que j'aime bien l'idée que les Amis donnent tout ce qu'ils ont dans le ventre dans une oeuvre dont la valeur artistique est à la hauteur de l'Enseignement et dans un esprit fun comme l'humeur d'Arnaud quand il en a parlé et cela, juste pour lui dire qu'on l'aimait bien.

Artistiquement, ce sera quelque chose.

30 juin 2019